lundi 7 mars 2011

Grande ballade de fin d'hiver

Eh bien, c''est assez incroyable, mais cette nuit de début mars, c'est la première soirée de vraie observation dans un ciel noir depuis le début de l'hiver!
Durant tous ces mois frustrants de froid et de nuages bas, pas une nuit complète sans lune dégagée, programmable à l'avance pour sortir du jardin. Certes, au pieds levé, il m'est arrivé de sortir des télescopes dans le jardin, notamment pour les tester, et j'ai pu faire quelques belles observations, et quelques dessins, la Lune, les planetes, Orion, etc, mais cette nuit, il faut en profiter, un bel anticyclone s'est installé, le ciel est clair, l'humidité ambiante pas trop forte, donc on y va!
A nous le ciel noir, les profondeurs obscures et les fleuves impassibles!
Direction Uchon, la lande morvandelle, un beau ciel noir, l'Auberge de la Croix de Messire Jean pour se restaurer de bonne charcuterie (ah les jambons qui sèchent au plafond...) et d'un peu de vin de mâconnais avant le froid de la nuit. Alain est venu de l'autre coté du Morvan. On va passer une belle soirée, je vous le dit!
19h30, la nuit est arrive, le fin croissant de la Lune presque à l'horizontale comme dans les sud équatoriaux, sombre peu à peu dans la brume rougeâtre des fonds de vallée. Jupiter le suit dans les profondeurs.
On monte le 400 en 5 minutes, c'est vite fait. Un rapide pointage sur le croissant de Lune et la lumière cendrée. C'est très bas, le miroir est presque à la verticale, mais pas de danger qu'il bascule, il est bien tenu. Ah, c'est bien joli, ce très fin liséré de lumière lunaire. Cela turbule un peu, bien sur, mais la face cendrée est bien nette, on devine les grandes formations, c'est bien contrasté.
Jupiter, par contre, c'est pas beau du tout. Elle est bien trop basse. Tant pis pour elle, on en a bien profité cette année, de la grande gazeuse. Elle nous a offert de beaux spectacles avec sa bande équatoriale qui avait disparu comme par magie sous les limbes, puis sa réapparition tout aussi étonnante.

On remonte, un petit coup d'oeil sur les Pleïades. C'est Alain qui pointe, c'est sa première fois avec un dobson, il faut du facile. Pointage à la main, avec le pointeur Rigel. Pile au centre des anneaux. Ils ont mis à fond toutes les lumières la-haut, cela éblouit bien.
On continue vers le double amas de Persée, la aussi, cela crache bien. Il y a quelques jolies étoiles colorées, une orange rouge, plusieurs jaunes; Alain n'est pas très sensible aux couleurs, il va falloir qu'il s'entraîne.
Direction les Amas du Cocher (M 36, 37 et 38..), puis une visite sur M31 déjà bien basse et plutôt palote, mais on distingue quand même bien les deux bandes d'absorption.
Oh, mais c'est qu'il fait bien noir, maintenant. La Voix Lactée est bien visible, sur tout le ciel. La nuit va être bonne, semble t'il. Sirius ne scintille quasiment pas. Mais c'est étrange d'ailleurs, cette lueur au sud ouest, un halo lumineux qui monte jusqu'aux Pleïades. Pas de ville ni de village dans cette direction. Mais oui, bien sur, c'est la lumière zodiacale. Pas souvent qu'on la voit ici. Donc, cela va être bon pour cette nuit!
Les cartes de M. Taki sont prêtes, imprimées A3, dans leurs pochettes plastiques. On va pouvoir voyager en long et en large sans risque de se perdre!
Pendant qu'on y est, on va faire un grand plongeon: l' Amas de galaxies dans Persée autour de ngc 1275. Elle est plutôt basse, mais la, c'est du grand profond. Une dizaine de toutes petites tâches floues, autour d'une plus grosse, 1275. La, cela vaut le coup d'avoir fait le voyage. Cela doit être à plus de 200 millions d'années lumières, ces petites choses...
On fonce sur Orion qui resplendit plein sud. Ah oui, la Grande et Belle est bien resplendissante ce soir. Cela crache, bien dessiné, bien net. Le centre bleu métallique, l'arc en ciel orange rouge, l'aile rouge brun en forme de serpe à droite, l'autre plus verte et plus étalée. Le trapèze est bien fin. Alain n'arrive pas à voir E et F, pourtant bien fines. La encore, c'est une question d'habitude; Par contre, il voit bien les couleurs; La, en effet, cela le change de son 200! La nuit est belle, il y a plein de détails que l'on ne remarque pas d'habitude: par exemple, le petit nuage qui est au centre de l'échancrure à l'extrémité de l'aile droite et puis, la zone plus dense au dessus de l'aile gauche, avec 4 ou 5 étoiles fines sur une ligne verticale, et puis surtout, la boucle qui se referme! Toute une zone nuageuse discontinue qui fait se refermer les ailes en une belle boucle. Cette zone, c'est assez rare qu'on la voit, il faut une bonne transparence. Avec le filtre OIII, cela accentue certains contrastes, mais je n'aime pas trop, cela tue les couleurs et l'apparence globale.
Direction la Flamme, ngc 2024. Elle est bien visible, en direct, sans filtre. Une grande lancéolée, évanescente, en 3 grandes parties principales, divisées par des chenaux sombres arborescents. Avec un filtre OIII, c'est moins bon, je trouve, moins évident...
M78 est belle, un gros flocon avec 3 étoiles dans son sein.
A l'est d'Orion, en direction des Gémeaux, la Nébuleuse variable de Hubble ngc 2261 est toujours aussi plaisante, avec sa forme cométaire en éventail.
On passe un peu plus bas sur la Rosette ngc2237 et consorts. On ne voit pas grand chose sans filtre, on devine des zones opaques autour de l'Amas. Avec un filtre OIII, cela change tout. La Rosette est bien visible, il y a des voiles de partout, de faibles chenaux devinés. C'est très complexe. Epoustouflant...
- En dessous d'Orion dans le Lièvre, IC418, une jolie petite NP, un peu ovalisée, avec la centrale bien marquée.
M1 est à première vue une grosse boule ovoïde cotonneuse. Avec l'OIII, c'est beaucoup mieux. L'ovale prend la forme d'un S ou plutôt, d'un tildé ~ avec deux échancrures plus sombres à chaque extrémité. Et puis, c'est étrange, mais on a des impressions très fugitives et très rapides, de réseaux, de filaments à l'intérieur. Est-ce notre vilain cerveau qui nous joue des tours ? des réminiscences des photos ? ou bien sont-ce des glimpses, ces images bien réelles et fugitives que seuls les observateurs chevronnés savent voir ? Alain à la même impression que moi.
J'aime bien divaguer dans le ciel. Sauter d'une zone à l'autre bout, tout simplement parce que j'ai soudain envie de revoir un bel objet de l'autre coté. La Grande Ourse monte au nord. Cela vaut le coup d'aller voir M 81/ M82. Et en effet, cela vaut le coup! Les deux sont superbes. soit dans le même champ, soit séparément. Le cigare bien grumeleux, les zones d'absorption bien dessinées. Et la M81 aussi, bien nette, précise. On perçoit bien les deux bras spiralés, très amples, celui du dessus bien mieux dessiné. La aussi, ce n'est pas fréquent de les voir si bien tranchés.
M51 est plus basse, mais cela crache quand même, toute la structure spiralée bien visible en direct. La aussi, cela change Alain de son 200mm. Il a bien fait de venir!
- M101 elle aussi assez basse, est plus quelconque. Cela n'a rien à voir avec une M101 de Juin, vue en Suisse à 2500 m avec un 250...
- Le Hiboux M97 , toujours dans la Grande Ourse, est bien dessiné, les deux grands yeux ovales et sombres bien visibles..
- M106 à coté est une belle galaxie bien brillante.
- L'Oeil de chat ngc6543, dans le Dragon, est superbe, une boule, vert bleue, la centrale, avec des choses à l'intérieur. On sent qu'il y a des débuts de structure spiralée. Mais on ne distingue pas la concentration/nodosité de l'enveloppe extérieure, telle qu'on la voyait à Valdrôme cet été.
Retour à l'Est, M 44, l'Amas de la Ruche, dans le Cancer, brille de tous ses feux.
Un petit tour dans les Gémeaux, jeter un coup d'oeil à la NP de l''Esquimau ngc2392, bleue vert, la centrale bien encapuchonnée, et le premier anneau bien centré, irrégulier, on devine que cela ressemble à un blason plutôt.
Près de Castor et Pollux, ngc 2371, une NP à deux lobes. On voit bien les deux boules, de part et d'autre de la centrale.
Et puis, on arrive au pays des galaxies. On l'aborde par le Lion.
Voila le beau trio M65/ M66 et le Hotdog ngc 3628. Dans un oculaire à large champ, les 3 sont visibles en même temps. Le hotdog montre bien sa bande d'absorption, M66 ses deux ailes à moitié repliées.
Un peu à l'est, toujours dans le pattes du Lion, on découvre M105, M96 et les deux ngc 3384 et 3389
Plus près de l'horizon, une belle NP, l' Oeil de Cleopatre ngc3242, belle boule bleuâtre, la centrale, et puis, en regardant bien, comme la forme d'un oeil, un anneau allongé en superposition.
Encore plus bas, dans le Corbeau, ngc4361, une petite NP blafarde, avec sa centrale et son enveloppe diaphane.
Un vent froid s'est levé, il est 1 heure passée. Le givre commence à s'installer sur la jupe de l'engin et sur les cartes. Un vol d'oies ou de canards passe au dessus de nous. Des chiens aboient au loin. Un peu de café encore chaud dans son thermo, un bon morceau de gâteau au chocolat et aux poires gentiment préparé par ma tendre épouse, et c'est reparti.
L'engin remonte, on arrive dans Coma Berenice et les champs de galaxies de printemps.
Voila la plus belle des galaxies, la si fine ngc 4565, vue par la tranche, très longue, avec sa bande d'absorption et son noyau central bien lumineux. C'est ma préférée celle-là,
Un peu plus haut, la Baleine et son baleineau, ngc 4631, gros animal étrange, à la forme irrégulière. C'est très grumeleux la-dedans.
Juste à coté, la Crosse de Hockey, ngc 4656, galaxie toute irrégulière et déformée.
Plus haut, le Tournesol, M63, grosse galaxie vue de trois-quart.
Et puis, plus bas, à nouveau dans Coma Berenice, la aussi, l'une des plus belles du printemps, la Galaxie de l'Oeil Noir M64, bien dessinée, lumineuse, comme une grosse goutte de lait, avec son bulbe central, gros oeil tout cerné de sombre.
Et nous voila à errer entre la Vierge et la queue du Lion, d'ïle en île. On fait du cabotage, on est un peu perdu. Les tâches floues se suivent et se ressemblent. On passe sur les Siamoises, ngc4567 et 4568, Il faudrait y passer des heures par ici.
Le ciel semble moins transparent. Il fait plus froid, le vent est plus mordant.
Voila M13 qui monte au dessus de l'horizon, au nord. C'est l'annonciation de l'été! Il n'est pas très haut, mais pourtant bien résolu, cela cingle de toute part. Voila qui annonce les beaux jours! Un autre amas globulaire que l'on avait oublié, M5, près du Bouvier. On l'aperçoit à l'oeil nu, d'ailleurs.
Saturne est bien montée juste au dessus des arbres. Mais elle est encore trop basse. Ce ne sera pas une nuit planètes. D'ailleurs, la turbulence s'est levée, le ciel est moins transparent, il est 2 heures. Il va être temps de plier bagage. Un retour rapide sur les gros amas, histoire de s'en mettre plein les mirettes avant de partir, les amas de Persée, ceux du Cocher, la Ruche, M5, et voila, c'est décidé, on remballe.
Tout est replié, monté, harnaché dans et sur la voiture; La nuit a été belle. Alain va dormir à l'auberge, il a sa clé et je m'en vais retourner dans ma Dobsonmobile par les petites routes, en faisant attention de ne pas attraper un chevreuil ou un lapin égaré par le froid. Avec tout cela, si on ne fait pas de beaux rêves...

1 commentaire:

  1. Pierre, merci pour ce fantastique Voyage d’Hiver – pour lequel que je suis encore loin de m’embarquer avec une telle aisance, bien que propriétaire d’un télescope Dobson Factory !!
    Sur la forme, j’ai beaucoup apprécié la qualité littéraire de votre texte. On est loin des CROA habituellement rencontrés sur les forums, et des phrases élaborées du genre : «j’ai vu la belle Juju avec ma grosse lulu », qui me font immanquablement penser par leur richesse lexicale, aux infinies variations du sketch des Inconnus à partir des trois briques fondamentales universellement maîtrisées : « merde », « putain », « fait chier »… ou aux interviews d’après-match de ces footeux formatés qui – de tous les temps de la conjugaison française – s’obstinent à n’employer que le présent de narration « alors je vise, je tire… et ça passe à côté ! ».
    Je vous suis reconnaissant de m’avoir appris au passage le si élégant adjectif « lancéolé » que je connaissais pas et que vous avez sans doute emprunté au champ lexical de la botanique ( ?).
    Je ne suis pas un ayatollah de l’orthographe, et me souviens même d’avoir soutenu en 68 ceux qui militaient pour sa suppression, en tant « qu’outil de pouvoir au service de la classe dominante » ; mais tout de même là encore, qu’est-ce que c’est agréable de pouvoir lire votre texte sans avoir à éviter les ornières de l’incorrection ou de la confusion vers laquelle les fantaisies orthographiques finissent par nous entraîner !!
    Sur le fond, ce grand voyage susciterait certainement les foudres de ceux qui estiment qu’ »il ne faut pas observer plus de trois ou quatre objets par soirée ». Certes votre objectif était pédagogique, mais on comprend qu’une telle richesse, une telle profusion, puisse déclencher l’ire des ascètes de la contemplation astronomique !! Votre revendication hédoniste : « j’aime bien divaguer dans le ciel.. parce que j’ai souvent envie… » m’amène à vous raconter – suivez-moi bien – l’histoire des taureaux français et des taureaux allemands qu’on vient de conduire dans un champ rempli de vaches ! (Je tiens cette histoire d’un stage d’interculturalité franco-allemande, où l’on démontait le mécanisme des stéréotypes attachés aux deux « cultures »). Les taureaux teutons se réunissent tout d’abord et confèrent, se répartissent les zones du champ, définissent chacun leur rayon d’action spatial et « affectif », pour éviter les conflits pour les plus belles femelles, et pour garantir en fin de compte l’exhaustivité : « comment les honorer toutes ? ». Pendant ce temps les taureaux français – sitôt lâchés dans leur champ – ont foncé sur leurs « proies » et « en honorent au moins une » en suivant leurs pulsions, dans le plus grand désordre, et sans stratégie d’ensemble ni de souci « d’exhaustivité »…
    Je ne vous ferai pas l’injure, Pierre, de vous assimiler à un taureau compatriote fonçant sur « tout ce qui bouge » au firmament, et je vous donnerai raison, voyant dans votre stratégie d’observation l’expression d’un « esprit de finesse » pour moi bien préférable à « l’esprit de géométrie » !! Et d’ailleurs l’astronomie ne requiert-t-elle pas un savant dosage des deux ?
    Je terminerai par une note musicale. Le Voyage d’Hiver, « Winterreise » c’est aussi le titre de ce fantastique recueil de Lieder de Schubert que j’affectionne particulièrement. Et Schubert a mis parfois si magnifiquement en musique la poésie astronomique (ici de Ludwig Rellstab) :


    Ade, liebe Sonne, so gehst du zur Ruh, ade!
    Nun schimmert der blinkenden Sterne Gold.
    Wie bin ich euch Sternlein am Himmel so hold;
    Durchziehn wir die Welt auch weit und breit,
    Ihr gebt überall uns das treue Geleit.

    Adieu, cher soleil qui descend en paix, adieu!
    Déjà scintille au ciel l’or des étoiles.
    Comme vous m’êtes chers, petits astres du ciel !
    Vous et moi voyageons sur les routes du monde,
    Et vous m’êtes partout une escorte fidèle.


    A quand votre prochain CROA ?

    Christian

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